Review of paintings, October 2011

Vie de arts – no. 224 automne 2011

LE THÉÂTRE DE LA COULEUR (mon titre)

JULIAN SAMUEL

Oeuvres récentes

Chez Georges Laoun Opticien

4012 rue St-Denis, Montréal

H2W 2M2

Du 26 avril au 21 mai 2011

Par André Seleanu

Le caractère dramatique de l’imagination picturale domine les œuvres récentes de Julien Samuel, présentées à l’espace Georges Laoun, rue St-Denis, à Montréal.  Les toiles semblent composées sous le signe de l’émotion et transmettent un sentiment de surprise, le geste pictural étant  marqué par un mouvement rapide, alors que chaque tableau est constitué de maintes couches de peinture à l’huile méthodiquement placées au fil des jours, et même des mois.

Une contemplation extatique et tourmentée forme un arrière-plan pour ces images qui renvoient immanquablement et de manière détournée à un état d’âme, à une conception romantique de l’univers.  Romantique, car la nature, à la fine limite de l’abstraction dans la peinture de Samuel, semble être le théâtre d’un combat d’énormes forces englobant également la personnalité de l’artiste devant son chevalet.  Ainsi qu’à la vue de ces toiles, on peut penser aux agitations d’un Turner, à la rigueur à celles d’un Géricault : évidemment, toute proportion gardée, car historiquement nous nous trouvons dans la suite de l’expressionnisme, et aussi dans celle de l’expressionnisme abstrait.  L’on note en fait la subtile assimilation par le peintre des manières, de la rhétorique de ces deux approches picturales.

 

Curieusement, au-delà de l’énergie et de la turbulence qui inscrivent – qui gravent – ces tableaux dans la mémoire, une forme de méditation (pourrait-on parler de l’esprit  zen?) s’en dégage, qui marque un contrepoint bien nécessaire au geste pictural à la fois tragique et enjoué.  L’artiste attribue cette composante méditative de l’œuvre au fait de revenir assidument par la suite d’une première version, devant son chevalet et d’appliquer successivement des couches de couleur au rythme des moments de méditation et de réflexion formelle : d’atteindre ainsi l’effet désiré.

Le sens dramatique de la vision est souvent réalisé grâce au contraste entre des lueurs et des éclats de couleur chaudes, tel que le rouge brique ou sang, ou encore le jaune safran, juxtaposés à des traces de couleur sombre traversés de noirs.  Des couleurs claires et chaudes, qui occupent des champs bien plus petits que ceux des couleurs sombres, illuminent, font ressortir celles-ci de manière mystique ou mystérieuse.  Serait-ce donc une forme moderne du clair-obscur ?

Des vecteurs de teinte noire criblent à leur tour des champs verts ou bleu foncé, presqu’en se mélangeant avec ceux-ci.  On garde néanmoins la sensation qu’il y a très peu de véritable fusion, de vrai mélange  de couleurs, en dépit des proximités, que la présence des tonalités primaires reste déterminante …

Dans Parc Lafontaine KB (2011) un jeu de bleu cobalt et bleus noirs connotent ce que peuvent être la mer et le ciel.  Des zones sombres donnant au noir inscrivent curieusement cette expression dans une tradition anglo-saxonne de plaisir, d’émerveillement  à l’exploration des résultats du noir.  (L’on fait des associations avec les Nocturnes de Whistler, avec les noirs des étoffes en des scènes domestiques de Mary Cassatt…)   De là, le sentiment de mystère et de nervosité des excès de noir…  Mais la surprise est atteinte chez Samuel par un effet explosif de rouge brique, par un saupoudrage, une traînée de cette tonalité qui illumine, qui traverse la zone supérieure de la toile.

Nocturne  Sable Night est une œuvre apparemment saisie par une agitation turnerienne liée à la puissance indomptée de la nature. Aux reflets d’une nuit naissante, d’une nuit pesante, traversée de lueurs bleues très foncées, le peintre adjoint du relief de surface : empâtements, textures du vernis qui ajoutent des accents angoissants à l’obscurité bleue et noire.  Une marine aux silhouettes de navires, en toute vraisemblance…

Dans 31 heures de Montréal, des  points jaune safran et une traînée rouge brique et orangé entrecoupent le noir connotant la catastrophe, l’événement violent.  L’imagination vogue vers les  feux des tragédies variées qui traversent notre actualité planétaire.

La forte gestualité qui marque les œuvres semble beaucoup devoir à l’action painting, méthode  grâce à laquelle le mouvement de la brosse ou l’action d’écouler de la peinture sur une surface deviennent objets de contemplation; cependant Samuel précise qu’il y a de l’intentionnalité formelle dans sa méthode.  La toile est commencée en tant que simple esquisse, étude délayée, mais les formes se précisent à fur et à mesure que l’acte de peindre avance.  En somme, le message de l’expressionnisme abstrait est détourné dans la direction désirée par l’artiste.

Samuel parle de sa dette envers l’expressionniste abstrait américain  Franz Kline :  alors que chez Kline les ébauches fulgurantes de paysages industriels restent inscrites à l’intérieur  des deux dimensions de la toile, Samuel déborde dans une troisième dimension matiériste  grâce à des nodules, granulations de surface, réalisés par empâtements et vernis, qui créent aussi une connotation biologique des œuvres.  L’artiste mentionne également son admiration envers l’expressionniste allemand Ernst Ludwig Kirchner, connu pour ses portraits tragiques et pour le travail acharné de  la ligne; cependant,  Samuel a probablement assimilé l’esthétique tourmentée de Kirchner tout en préférant un degré avancé d’abstraction, et ceci  face à l’option figurative du maître allemand.

L’aspect parfois inachevé des toiles de Samuel devrait être noté; qualité probablement visée à mon avis, car il y a un caractère infini des jeux possibles de vernis, nodules, granulations et empâtements… Sincère, l’expression demande de l’attention, exige qu’on  remarque la  technique employée; le travail questionne, il communique avec le spectateur.  Il y a de l’ouverture discursive de l’essai dans ces œuvres, et peut-être aussi une forme de courant émotionnel du chant.  Art subtilement post moderne, car tout en étant influencé par l’expressionnisme abstrait, il intègre des nuances de l’esprit du paysage romantique…  Discrète hybridité.  Julian Samuel montre également que le message de l’expressionnisme abstrait, loin d’être épuisé ou déphasé, peut servir de point d’appui à de nouvelles visions.